Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/512

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rumeur que causait sa présence dans la salle. Habitué à ces ovations curieuses, il y répondait d’ordinaire sans le moindre embarras, de tout son large et bon sourire ; mais cette fois la manifestation était malveillante, presque indignée.

« Comment !… c’est lui ?…

— Le voilà.

— Quelle impudence ! »

Cela montait de l’orchestre avec bien d’autres exclamations confuses. L’ombre et la retraite où il s’était réfugié depuis quelques jours l’avaient laissé ignorant de l’exaspération publique à son égard, des homélies, des dithyrambes répandus dans les journaux à propos de sa fortune corruptrice, articles à effet, phraséologie hypocrite à l’aide desquels l’opinion se venge de temps en temps sur les innocents de toutes ses concessions aux coupables. Ce fut une effroyable déconvenue, qui lui causa d’abord plus de peine que de colère. Très ému, il cachait son trouble derrière sa lorgnette, s’attachant aux moindres détails de la scène, posé de trois quarts, mais ne pouvant échapper à l’observation scandaleuse dont il était victime et qui faisait bourdonner ses oreilles, ses tempes battre, les verres embués de sa lorgnette s’emplir des cercles multicolores où tournoie le premier égarement des congestions sanguines.

Le rideau baissé, l’acte fini, il restait dans cette attitude de gêne, d’immobilité ; mais les chuchotements plus distincts, que ne retenait plus le dialogue scénique, l’acharnement de certains curieux changeant de place pour mieux le voir, le contraignaient à sortir de sa loge, à se précipiter dans les couloirs comme un fauve échappé de l’arène à travers le cirque. Sous le plafond bas, dans l’étroit passage circulaire des corridors de théâtre,