Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/78

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rire que pour détendre sa forme pure dans une expression lassée et retombante. En tout, l’apparence un peu hautaine d’un être d’exception.

Quelqu’un près de lui la nomma… Félicia Ruys… Dès lors il comprit l’attrait rare de cette jeune fille, continuatrice du génie de son père, et dont la célébrité naissante était arrivée jusqu’à sa province, auréolée d’une réputation de beauté.

Pendant qu’il la contemplait, qu’il admirait ses moindres gestes, un peu intrigué par l’énigme de ce beau visage, il entendit chuchoter derrière lui :

« Mais voyez donc comme elle est aimable avec le Nabab… Si le duc arrivait…

— Le duc de Mora doit venir ?

— Certainement. C’est pour lui que la soirée est donnée ; pour le faire rencontrer avec Jansoulet.

— Et vous pensez que le duc et mademoiselle Ruys…

— D’où sortez-vous ?… C’est une liaison connue de tout Paris… Ça date de la dernière exposition où elle a fait son buste.

— Et la duchesse ?…

— Bah ! Elle en a bien vu d’autres… Ah ! voilà madame Jenkins qui va chanter. »

Il se fit un mouvement dans le salon, une pesée plus forte de la foule auprès de la porte, et les conversations cessèrent pour un moment. Paul de Géry respira. Ce qu’il venait d’entendre lui avait serré le cœur. Il se sentait atteint, sali par cette boue jetée à pleine main sur l’idéal qu’il s’était fait de cette jeunesse splendide, mûrie au soleil de l’art d’un charme si pénétrant. Il s’éloigna un peu, changea de place. Il avait peur d’entendre encore chuchoter quelque infamie… La voix de madame Jenkins lui fit du bien, une voix fameuse dans