Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/361

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miracle en faveur du cher malade… Le salon jonquille est condamné, le piano mort, la flûte enclouée. Mais le plus navrant de tout, oh ! le plus navrant c’est une petite robe noire assise dans un coin de la maison, et tricotant du matin au soir, sans rien dire, avec de grosses larmes qui coulent.

Or, tandis que l’ancienne maison Lalouette se lamente ainsi nuit et jour, le petit Chose est bien tranquillement couché dans un dans un grand lit de plumes, sans se douter des pleurs qu’il fait répandre autour de lui. Il a les yeux ouverts, mais il ne voit rien ; les objets ne vont pas jusqu’à son âme. Il n’entend rien non plus, rien qu’un bourdonnement sourd, un roulement confus, comme s’il avait pour oreilles deux coquilles marines ; ces grosses coquilles à lèvres roses où l’on entent ronfler la mer. Il ne parle pas, il ne pense pas : vous diriez une fleur malade… Pourvu qu’on lui tienne une compresse d’eau fraîche sur la tête et un morceau de glace dans la bouche, c’est tout ce qu’il demande. Quand la glace est fondue, quand la compresse est desséchée au feu de son crâne, il pousse un grognement : c’est toute sa conversation…

Plusieurs jours se passent ainsi, — jours sans heures, jours de chaos, puis subitement, un beau matin, le petit Chose éprouve une sensation singulière. Il semble qu’on vient de le tirer du fond de la mer. Ses yeux voient, ses oreilles entendent. Il respire ; il reprend pied… La machine à penser, qui dormait dans un coin du cerveau avec ses