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LE TRÉSOR D’ARLATAN

— Si elle m’en a voulu, jeune homme ? Attendez… »

Il se dressa en gémissant, une chemise de grosse toile laissant voir sa poitrine velue et grise de vieux pacan.

« Passez-moi ces deux boîtes, je vous prie, la verte et l’autre. »

Il montrait deux de ces cartons de modes comme les grands magasins de nouveautés en expédient au bout du monde. Salis, cassés, surchargés de toutes les marques postales, ces deux-là ne tenaient plus que par miracle. Du premier qu’il ouvrit sans presque y toucher, des photographies de femmes s’échappèrent, actrices, danseuses, maillots et décolletages de vitrines, qui vinrent se répandre sur la couverture devant lui. Il prit un de ces portraits et le regarda longtemps. Danjou était trop loin, il ne pouvait pas voir la femme ; mais son Anti-Glaireux en tricot de laine et la main trapue aux ongles noirs qui tenait la petite carte, il n’en perdait pas un détail. Et, se rappelant les dessous élégants et raffinés de sa maîtresse, l’association de ces deux êtres lui semblait monstrueuse, impossible.

« Regardez-moi ça, mon bon… » dit l’ancien gardien de bœufs en lui passant le portrait.

C’était bien Madeleine Ogé, il y a dix ans, au zénith de sa beauté, de sa gloire ; Madeleine en Camargo, le plus savoureux de ses rôles et