Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/207

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sous de fouet lui duraient six mois et que, depuis vingt ans, il n’avait pas changé de manche !… Sa famille, allons donc !… pas plus qu’elle n’était sa femme, cette Fanny Legrand, vieille et fatiguée, avachie sur ses coudes dans la fumée des cigarettes… Avant un an, tout cela disparaîtrait de sa vie, avec le vague de rencontres de voyage, de convives de table d’hôte.

Mais à d’autres moments cette idée de départ qu’il invoquait comme excuse à sa faiblesse, dès qu’il se sentait déchoir, tiré en bas, cette idée, au lieu de le rassurer, de le soulager, lui faisait sentir les liens multiples serrés autour de lui, quel déchirement ce serait que ce départ, non pas une rupture, mais dix ruptures, et qu’il lui en coûterait de lâcher cette petite main d’enfant qui la nuit s’abandonnait dans la sienne. Jusqu’à La Balue, le loriot sifflant et chantant dans sa cage trop petite qu’on devait toujours lui changer et où il courbait le dos comme le vieux cardinal dans sa prison de fer ; oui, La Balue lui-même avait pris un petit coin de son cœur, et ce serait une souffrance que l’ôter de là.