Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/27

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ignorant encore la sensation de l’attente, ces grands coups à pleine poitrine qui sonnent le désir et l’impatience.

De temps en temps, l’été étant très beau cette année-là, ils s’en allaient à la découverte de tous ces jolis coins des environs de Paris dont elle savait la carte précise et détaillée. Ils se mêlaient aux départs nombreux, turbulents, des gares de banlieue, déjeunaient dans quelque cabaret à la lisière des bois ou des eaux, évitant seulement certains endroits trop courus. Un jour qu’il lui proposait d’aller aux Vaux-de-Cernay.

— Non, non… pas là… il y a trop de peintres…

Et cette antipathie des artistes, il se rappela qu’elle avait été l’initiation de leur amour. Comme il en demandait la raison :

— Ce sont, dit-elle, des détraqués, des compliqués qui racontent toujours plus de choses qu’il n’y en a… Ils m’ont fait beaucoup de mal…

Lui protestait :

— Pourtant, l’art, c’est beau… Rien de tel pour embellir, élargir la vie.

— Vois-tu, m’ami, ce qui est beau, c’est d’être simple et droit comme toi, d’avoir vingt ans et de bien s’aimer…