Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/337

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Déjà dix heures ! Et l’express de Paris arrive à midi, vite il s’habille pour aller au-devant de sa maîtresse ; ils déjeuneront en face de la mer, puis on portera les bagages à bord et à cinq heures, le signal.

Un jour merveilleux, un ciel profond où les mouettes passent en taches blanches, la mer d’un bleu plus foncé, d’un bleu minéral, sur lequel, à l’horizon, des voiles, des fumées, tout est visible, tout miroite et tout danse ; et comme le chant naturel de ces rives de soleil aux transparences d’atmosphère et d’eau, des harpes sonnent sous les croisées de l’hôtel, un air italien d’une facilité divine, mais dont la note pincée et traînée sur les cordes émeut cruellement les nerfs. C’est plus que de la musique, c’est la traduction ailée de ces allégresses du Midi, ces plénitudes de vie et d’amour gonflées jusqu’aux larmes. Et le souvenir d’Irène passe dans la mélodie, vibrant et pleurant. Comme c’est loin !… Quel beau pays perdu, quel regret pour toujours des choses brisées, irréparables !