Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/145

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virginie

Et cette femme t’a laissé partir ! elle n’a pas eu pitié de toi, elle ne t’a pas arrêté au seuil de sa porte ? « Revenez, j’étais folle, nous sommes fous tous les deux ! » Non, d’un œil souriant elle t’a regardé t’en aller à la mort. Mais quel sang ont-elles donc dans les veines, ces créatures-là ?

le marquis

Ces créatures ont dans les veines un sang de race qui leur vient de très loin et de très haut, Mademoiselle ; c’est toujours le sang de ces belles amoureuses du moyen âge qui jetaient leur gant dans l’arène et qui criaient : « Au plus aimant ! » Autrefois c’était un gant entre les griffes du lion, aujourd’hui c’est une fleur sous les balles républicaines.

virginie, après un silence.

Tu n’as plus de mère, n’est-ce pas ?

le marquis

Ma mère est morte, Mademoiselle.

virginie

Si tu avais eu ta mère, ta mère aurait pleuré, et si ses larmes n’avaient pas suffi, plutôt que de te laisser partir elle t’aurait enfermé comme un enfant rebelle.

le marquis

Ah ? malpeste, à la fin, mon amour-propre se révolte. Une fois pour toutes, Mademoiselle, apprenez-moi ce que c’est qu’un enfant et ce que c’est qu’un homme. Est-ce à la taille seulement que vous