Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/211

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madame jourdeuil.

Bah ! qu’est-ce que tu veux qu’il vienne faire chez nous, cet enragé-là ? Il est toujours en mer, toujours en voyage. Il ne pourrait pas amener son bateau à Ville-d’Avray. (Reprenant son registre.) Je crois bien que nous ne le connaîtrons jamais.

louise.

Singulier ami, tout de même, qu’un ami comme celui-là. On en parle tous les jours, on lui écrit, on l’adore, et on ne l’a jamais vu. C’est-à-dire que si M. Pierre venait à Paris, nous pourrions nous trouver dans la même rue, dans le même omnibus, sans nous en douter.

madame jourdeuil, distraite.

Mon Dieu, oui.

louise.

J’ai souvent songé à cela. Bien souvent, dans la rue, en passant à côté d’un monsieur, il m’est arrivé de me dire : Pourtant, si c’était lui ! et tout de suite le cœur me battait. Est-ce que cela ne t’est jamais arrivé, à toi, dis, maman ? dis ? dis ?…

madame jourdeuil, dans son gros livre.

Oh je t’en supplie, ma petite enfant, laisse-moi finir ; ton frère va arriver, et tu sais que je tiens à ce qu’il trouve toujours tous nos comptes bien en règle.

louise.

Ah çà ! Mais… Il y en avait donc bien long, cette fois-ci ? (Elle va poser la crème sur la table et revient vers sa mère.) Voyons, expliquez-vous, monsieur le