Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/35

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ambroix

Mais enfin, puisque vous ne m’aimiez pas, puisque vous en aimiez un autre, pourquoi n’avez-vous pas eu le courage de votre passion ? Pourquoi n’avez-vous pas, dès le premier jour, pris bravement votre amant par le bras et ne lui avez-vous pas dit : Allons-nous-en d’ici ? C’eût été moins lâche, après tout.

madame ambroix

C’est parce que vous m’aimiez trop que je suis restée.

ambroix

Ah ! oui, vous avez bon cœur, vous, je l’oubliais. On veut bien tromper, voler, assassiner les gens, on ne veut pas leur faire de la peine. L’horrible chose que ces bons cœurs !

madame ambroix, sanglotant.

Oh ! l’entendre parler ainsi, lui ! quel châtiment !

ambroix

Pourtant, si vous étiez partie, voyez comme c’eût été plus heureux pour moi ! Onze ans auraient déjà passé sur mon désespoir, et onze ans sèchent bien des larmes. Il eût pu se faire encore que votre départ m’eût tué du coup, ces choses-là se sont vues. Mais, ma foi, avouez que ma mort eût été un fier débarras pour tout le monde, pour moi le premier.

madame ambroix

Ambroix, je vous en conjure, épargnez-moi, épargnez-vous. Chacune de vos paroles m’entre au cœur