Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/3

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tion très nette, très fermée, d’une plume masculine :

« Madame Malcie d’Anicet,
née d’Hallon ».

Née d’Hallon ?

Quelqu’un qui la connaissait sans doute.

Leurs relations, celles de sa famille, de son père, de sa mère étaient nombreuses.

Cependant, la recommandation de lire « seule » le contenu de l’enveloppe ne lui allait pas.

Aucune de ses pensées, aucun de ses actes ne restaient inconnus de celui dont elle portait le nom.

À l’idée de dévier pour la première fois, de la ligne de conduite, rigoureusement observée depuis six ans Malcie éprouva un malaise.

Ne pas faire part à Jean ?

Oh ! non.

Elle secoua les folles idées que la remarque suscitait.

Y avait-il de quoi se mettre martel en tête ?

Une demande d’argent ?

Elle y accéderait.

Elle y accédait à l’avance.

Faire le bien, beaucoup de bien, n’était-ce pas préparer un avenir de bonheur à l’adorable fillette, au joli poupon qui la précédait de quelques pas ?

Elle s’en voulut de la crainte qu’avait occasionné ce pli.

N’eût-il pas été plus simple de le recevoir comme tout autre ?

Il en arrivait tant de banals, tant d’indifférents !

Elle laissa flotter la jupe à forme sur sa chaussure fine, et, du bout de ses doigts fluets déchira la partie du papier qui était gommé.


En confettis irréguliers, les parcelles blanches tournoyèrent, marbrèrent la poussière de la chaussée jusqu’à ce qu’enfin la lettre pût sortir librement.

Malcie lut :

« Madame,

« Je voudrais vous écrire une lettre assez longue.

« Dois-je l’adresser à votre domicile ?

« Ce que j’ai à vous communiquer vous étonnera peut-être. Il est bon, néanmoins, que vous sachiez.

Toute créature doit être au courant de ce qui, de près ou de loin la concerne.

« La vie est la vie. Pour quelques-uns : un rêve doré. Pour d’autres : un calvaire atrocement douloureux. Pour un plus grand nombre une suite de joies, de peines, de sourires, de pleurs.

« Un jeu, quoi, une comédie qu’il est bon de bien jouer.

« Je vous écrirai où vous m’indiquerez.

« Veuillez me répondre à ce même bureau aux initiales « R. H. », si vous daignez y prendre ma prose.

« Au cas où vous craindrez de vous compromettre par un mot ou une signature, envoyez simplement une feuille blanche. Ce sera l’acquiescement convenu.

« Vous voyez, que je ne suis pas très exigeant et que mon intention n’est pas de vous attirer dans un guet-apens.

« Voilà six mois que me poursuit l’idée que je mets à exécution aujourd’hui.

« Je n’agis pas à la légère.

« Maintes fois je vous ai suivie.

« Vous avouerez que j’y ai apporté quelque discrétion, puisque ni vous, ni aucun des vôtres ne s’en est jamais aperçu.

« Une fois, cependant, au Louvre, vos yeux et les miens se sont rencontrés.

« J’ai fui votre regard.

« Le capitaine Jean d’Anicet vous accompagnait.

« Mon insistance aurait pu attirer son intention.

« J’ai passé…

« J’ose compter sur une réponse, ou tout au moins sur un encouragement : la feuille blanche.

« Un silence qui se prolongerait au-delà de huit jours me donnerait l’occasion de déposer une seconde lettre chez la concierge de votre hôtel…