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Le soir donc du jour dont nous venons de parler, il annonça au souper, qu’il tannerait vive la peau à celui qui oserait encore tourmenter la pauvre Dame Acadienne. Et certes, chacun savait que pour ces sortes de justices sommaires, Tom n’avait jamais manqué de tenir sa promesse. Ce fut en conséquence de cet avertissement, que si Madame St.-Aubin ne rencontra pas plus de sympathie et de prévenance de la part des gens du vaisseau, du moins ne fut-elle pas autant en butte à leurs mauvais traitements.

Cependant le navire poussé par une forte brise du nord-est était sorti du Golfe et on apercevait déjà les Isles du Grand Fleuve.

On était au soir de la troisième journée depuis les incidents que nous venons de rapporter. Le navire avait toujours fait bonne route, car le vent fraîchissait de plus en plus, incliné sur son bord, ses hautes hunes baisaient presque la mer houleuse qui s’élevaient en de terribles tourbillons. Mais les malheureux émigrants pressés les uns contre les autres, dans la cale, faisaient d’inutiles efforts pour s’empêcher de se heurter à chaque secousse sur une paroi ou sur l’autre du bâtiment. Les cris de douleur des enfants, les lamentations des femmes, joints au bruit des manœuvres des matelots, l’obscurité et l’infection qui régnaient dans ce cloaque, de plus les sifflements furieux du vent, les cordages frémissants et palpitants au souffle de la tempête, mais par-dessus tout la nuit qui s’approchait, la nuit avec son triste voile de misère, d’angoisses et d’inquiétudes ; et le vaisseau comme frappé d’épouvante refusant d’obéir au gouvernail : telle était la scène qu’offrait le «  Boomerang. ».

Nous étions aux grandes mers de mai ; et il était rare qu’à cette époque les belles rives du Saint-Laurent ne fussent pas témoins de quelques sinistres maritimes.

Par l’ordre du Capitaine on avait à peu près cargué toutes les voiles, car le ciel de plus en plus sombre présentait un immense chaos de nuages qui se heurtaient, s’entre-déchiraient et se culbutaient. La mer écumant de vagues furieuses, l’horizon se rétrécissant à chaque instant, mais par-dessus tout les ténèbres qui déjà les enveloppaient. Qu’allaient donc devenir les pauvres émigrants ?

Ordre fut donné de fermer toutes les écoutilles et de mettre à la cape. Plusieurs fois déjà une mer furieuse était venue