Page:DeGuise - Le Cap au diable, 1863.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 25 —

vivantes restaient à bord : c’étaient Madame St.-Aubin et son enfant, Tom et O’Brien.

La cabine qu’occupait Madame St.-Aubin était d’un niveau plus élevé que le fond de la cale où se trouvaient les émigrants ; à cette circonstance elle devait de n’avoir pas partagé le sort de ses malheureux compagnons d’infortune.

Les deux matelots avaient toujours persisté à rester attachés aux parois du navire. Au clapotement de l’eau dans la cale, au craquement du vaisseau, ils comprirent bientôt que celui-ci ne pouvait pas tenir longtemps sans se disjoindre entièrement. Ils coupèrent donc les cordes qui les retenaient attachés ; O’Brien alla ouvrir l’écoutille pour voir s’il pouvait encore être utile à quelques-uns de ses infortunés compatriotes. Mais, vain espoir ! Tous se tenaient fortement embrassés les uns les autres dans une suprême et dernière étreinte ; et chaque vague furieuse qui venait frapper le vaisseau, faisait passer par la répercussion sur la tête des cadavres inanimés les masses d’eau qui les avaient envahis. Tom ouvrit la porte de la cabine, Madame St.-Aubin vivait encore ; quoique dans l’eau jusqu’à la ceinture. D’une main, elle se tenait cramponnée à une barre de fer avec toute l’énergie du désespoir, de l’autre elle soutenait son enfant au-dessus de son épaule.

Il était temps que ce secours lui arriva, car défaillante, la force surnaturelle qui l’avait jusqu’alors soutenue, allait l’abandonner. La saisir dans ses bras, la transporter sur le pont avec son enfant, fut pour Tom l’affaire d’un instant ; il les attacha solidement après les avoir recouvert de son habit et de quelques lambeaux de voiles. Avec son compagnon, il se mit en devoir de construire un petit radeau. Il est difficile de se figurer les peines inouïes qu’ils éprouvèrent dans l’exécution de ce travail. Pendant ce temps, le navire menaçait de plus en plus de s’ouvrir, l’eau l’enveloppait presque de toutes parts, il n’en restait plus qu’un petit endroit ; une minute plus tard, et tout était perdu.

Tom aussitôt attacha Madame St.-Aubin et son enfant sur le petit radeau, en saisit un des cordages, puis une vague immense recouvrit le vaisseau ; elle entraîna dans sa fureur tout ce qui était sur le pont. Malheureusement O’Brien ne fut pas assez prompt pour imiter son compagnon, l’abîme s’ouvrit pour lui. Longtemps il lutta avec toute l’énergie que peut donner l’instinct de conservation, il nagea quelques temps pour atteindre