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MÉMOIRES SECRETS

que vous n’écrivez pas mieux en vers qu’en prose ; ce sont là ses propres termes.

Si vous étiez, M. le comte, de ces gens bouffis d’orgueil qui prétendent que tout ce qu’ils font soit bien, je me garderais bien d’avoir tant de franchise ; mais je vous connais, vous êtes philosophe, la critique du public vous touche peu ; je sais que vous voulez bien écrire : on le voit assez ; cela suffit. On vous reproche surtout de courir après l’esprit, sans pouvoir l’attraper : ce n’est donc pas votre faute ; voilà qui vous justifie.

Aujourd’hui on ne juge des choses que par les apparences ; on ne veut pas se donner la peine d’approfondir les motifs qui font agir. L’homme est comme cela : qu’y faire ? Vous ne lui ôteriez pas de la tête que vous voulez faire parler de vous, à quelque prix que ce soit : on dit tout haut à qui veut l’entendre que vos desseins, in petot, étaient que M. le procureur général vous dénonçât au parlement, pour être jugé, les chambres assemblées, afin que la chose fît plus d’éclat, et que tout le monde parlât de vous comme d’un martyr.

Voyez, M. le comte, comme on vous prête de la misère, de la petitesse : qu’on connaît mal le sage ! c’est bien de ces fadaises dont il s’occupe ! Il aime le grand, le sublime.

Ce public ingrat ignore les peines que vous vous êtes données pour trouver de la porcelaine qui allât sur le feu ; combien de choses aussi importantes n’avez-vous pas tentées qui n’ont pas mieux réussi ? Ce n’est pas que vous ayez épargné l’argent assurément ; mais le temps de ces découvertes n’était pas venu. La postérité reconnaîtra vos services ; l’homme de mérite n’est jamais jugé ce qu’il vaut de son vivant. C’est ce qui fait, M. le comte,