Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/111

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J’aurais cité les lois des missions, comme le modèle d’une administration faite pour donner aux humains le bonheur et la sagesse.

En effet, quand on se représente de loin et en général ce gouvernement magique fondé par les seules armes spirituelles, et qui n’était lié que par les chaînes de la persuasion, quelle institution plus honorable à l’humanité ! C’est une société qui habite une terre fertile sous un climat fortuné, dont tous les membres sont laborieux et où personne ne travaille pour soi ; les fruits de la culture commune sont rapportés fidèlement dans les magasins publics, d’où l’on distribue à chacun ce qui lui est nécessaire pour sa nourriture, son habillement et l’entretien de son ménage ; l’homme dans la vigueur de l’âge nourrit par son travail l’enfant qui vient de naître ; et lorsque le temps a usé ses forces, il reçoit de ses concitoyens les mêmes services dont il leur a fait l’avance ; les maisons particulières sont commodes, les édifices publics sont beaux ; le culte est uniforme et scrupuleusement suivi ; ce peuple heureux ne connaît ni rangs ni conditions, il est également à l’abri des richesses et de l’indigence. Telles ont dû paraître et telles me paraissaient les missions dans le lointain et l’illusion de la perspective. Mais, en matière de gouvernement, un intervalle immense sépare la théorie de l’administration. J’en fus convaincu par les détails suivants que m’ont faits unanimement cent témoins oculaires.

L’étendue du terrain que renferment les missions peut être de deux cents lieues du nord au sud, de cent cinquante de l’est à l’ouest, et la population y est d’environ trois cent mille âmes, des forêts immenses y offrent des bois de toute espèce, de vastes pâturages y contiennent