Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/114

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au rosaire, après lequel il y avait conversation jusqu’à sept heures du soir ; alors le curé soupait ; à huit heures il était censé couché.

Le peuple cependant était depuis huit heures du matin distribué aux divers travaux soit de la terre, soit des ateliers, et les corrégidors veillaient au sévère emploi du temps ; les femmes filaient du coton ; on leur en distribuait tous les lundis une certaine quantité qu’il fallait rapporter filé à la fin de la semaine ; à cinq heures et demie du soir on se rassemblait pour réciter le rosaire et baiser encore la main du curé ; ensuite se faisait la distribution d’une once de maté et de quatre livres de bœuf pour chaque ménage qu’on supposait être composé de huit personnes ; on donnait aussi du maïs. Le dimanche on ne travaillait point, l’office divin prenait plus de temps ; ils pouvaient ensuite se livrer à quelques jeux aussi tristes que le reste de leur vie.

On voit par ce détail exact que les Indiens n’avaient en quelque sorte aucune propriété et qu’ils étaient assujettis à une uniformité de travail et de repos cruellement ennuyeuse. Cet ennui, qu’avec raison on dit mortel, suffit pour expliquer ce qu’on nous a dit : qu’ils quittaient la vie sans la regretter, et qu’ils mouraient sans avoir vécu. Quand une fois ils tombaient malades, il était rare qu’ils guérissent ; et lorsqu’on leur demandait alors si de mourir les affligeait, ils répondaient que non, et le répondaient comme des gens qui le pensent. On cessera maintenant d’être surpris de ce que, quand les Espagnols pénétrèrent dans les missions, ce grand peuple administré comme un couvent témoigna le plus grand désir de forcer la clôture. Au reste, les jésuites nous représentaient ces Indiens comme