Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/223

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un marais, le reste était la mer dont assurément nous étions les maîtres. Nous avions beau jeu pour défendre ce poste contre toutes les forces de l’île réunies ; mais heureusement, à quelques alertes près occasionnées par des filous, la nuit fut tranquille au camp.

Ce n’était pas de ce côté où mes inquiétudes étaient les plus vives. La crainte de perdre les vaisseaux à la côte nous donnait des alarmes infiniment plus cruelles.

Dès dix heures du soir les vents avaient beaucoup fraîchi de la partie de l’est avec une grosse houle, de la pluie, des orages et toutes les apparences funestes qui augmentent l’horreur de ces lugubres situations.

Vers deux heures du matin il passa un grain qui chassait les vaisseaux en côte : je me rendis à bord, le grain heureusement ne dura pas ; et dès qu’il fut passé, le vent vint de terre. L’aurore nous amena de nouveaux malheurs ; notre câble du nord-ouest fut coupé ; le grelin, que nous avait cédé L’Étoile et qui nous tenait sur son ancre à jet, eut le même sort peu d’instants après ; la frégate alors venant à l’appel de l’ancre et du grelin du sud-est, ne se trouvait pas à une encablure de la côte où la mer brisait avec fureur. Plus le péril devenait instant, plus les ressources diminuaient, les deux ancres, dont les câbles venaient d’être coupés, étaient perdues pour nous ; leurs bouées avaient disparu, soit qu’elles eussent coulé, soit que les Indiens les eussent enlevées dans la nuit. C’étaient déjà quatre ancres de moins depuis vingt-quatre heures, et cependant il nous restait encore des pertes à essuyer.

A dix heures du matin le câble neuf, que nous avions enlingué sur l’ancre de deux mille sept cents de L’Étoile, laquelle nous tenait dans le sud-est, fut coupé ; et la frégate,