Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/26

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qu’à Tahiti.

De là ils dirigent leur route pour attaquer la Nouvelle-Zélande par quarante degrés de latitude australe.

Ils y atterrent le 3 octobre sur la côte orientale, et reconnaissent parfaitement, en six mois de circumnavigation, que la Nouvelle-Zélande, au lieu d’être partie du continent austral, comme on le supposait assez généralement, est composée de deux îles sans aucune terre ferme dans le voisinage. Ils observent aussi qu’on y parle différents dialectes de la langue de Tahiti, tous passablement entendus par le Tahitien embarqué dans l’Endeavour.

Leurs découvertes ne se bornent pas à celles-là ; après avoir quitté le 31 mars 1770 les côtes de la Nouvelle-Zélande, ils viennent atterrer par les trente-huit degrés de latitude australe sur la partie orientale de la Nouvelle-Hollande, ils la côtoient en remontant vers le nord, ils y font plusieurs mouillages et des reconnaissances, jusqu’au 10 juin où ils échouent sur un rocher par les quinze degrés de latitude dans les parages où l’on verra que je me suis trouvé fort embarrassé ; ils restent échoués vingt-trois heures et passent deux mois à se radouber dans un petit port voisin de ce rocher qui avait failli leur être fatal. Après avoir été plusieurs autres fois en risque dans ces parages funestes, ils trouvent enfin par dix degrés de latitude australe un détroit entre la Nouvelle-Hollande et les terres de la Nouvelle-Guinée par lequel ils débouchent dans la mer des Indes.

Insatiables de recherches, ils visitent encore les côtes méridionales et occidentales de la Nouvelle-Guinée, viennent ensuite ranger la côte méridionale de l’île Java, passent le détroit de la Sonde, et arrivent le 9 octobre à Batavia. Ils y séjournent deux mois, relâchent ensuite au cap de Bonne-Espérance, à l’île Sainte-Hélène, et mouillent enfin aux Dunes le 13 juillet 1771, ayant enrichi le monde de grandes connaissances en géographie et de découvertes intéressantes dans les trois règnes de la nature.

Cette esquisse fera désirer impatiemment aux lecteurs la relation détaillée de cette instructive expédition, et doit me rendre encore plus timide à publier le récit de la mienne. Avant que de le commencer, qu’il me soit permis de prévenir qu’on ne doit pas en regarder la relation comme un ouvrage d’amusement : c’est surtout pour les marins qu’elle est faite. D’ailleurs cette longue navigation autour du globe n’offre pas la ressource des voyages de mer faits en temps de guerre, lesquels fournissent des scènes intéressantes pour les gens du monde. Encore si l’habitude d’écrire avait pu m’apprendre à sauver par la forme une partie de la sécheresse du fond ! Mais, quoique initié aux sciences dès ma plus tendre jeunesse, où les leçons que daigna me donner M. d’Alembert me mirent dans le cas de présenter à l’indulgence du public un ouvrage sur la géométrie, je suis maintenant bien loin du sanctuaire des sciences et des lettres ; mes idées et mon style n’ont que trop pris l’empreinte de la vie errante et sauvage que je mène depuis douze ans. Ce n’est ni dans les forêts du Canada, ni sur le sein des mers, que l’on se forme à l’art d’écrire, et j’ai perdu un frère dont la plume aimée du public eût aidé à la mienne. Au reste, je ne cite ni ne contredis personne ; je prétends encore moins établir ou combattre aucune hypothèse. Quand même les différences