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Page:De Coster - Contes brabançons, 1861.djvu/193

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millions, par milliards qui s’enfonçaient dans ses joues, lui pochaient les yeux, lui déchiraient les oreilles, lui cassaient les côtes, lui broyaient les jambes, et marchaient sur ses pieds à lui, ses pauvres pieds endoloris où il avait des cors. Ce fut un horrible cauchemar. Comment il ne mourut point, c’est un fait que peut seule expliquer sa qualité d’esprit.

Puis tout à coup, le silence se fit dans toute cette foule, le calme se rétablit, les millions et les milliards de jambes et de pieds s’arrêtèrent, Hendrik se releva timidement, brisé mais vivant et il vit un spectacle comme il ne doit plus voir tant que Dieu le laissera en ce monde.

Trois femmes, belles de la beauté du ciel et entourées d’un nuage lumineux, s’élevaient rayonnantes dans l’espace. La première était grande, sévère et triste, elle tenait d’une main une hache, de l’autre une balance : elle s’appelait justice. La seconde était blonde et ronde, belle et douce, tous ceux qu’elle touchait du pan de sa robe, avaient le cœur rasséréné : elle s’appelait bonté. La troisième était nue comme Vénus, belle comme elle, les harmonieux contours de ses formes célestes semblaient éclairés par un feu doux et intérieur, le grain de ses chairs semblait être d’or transparent. Elle était comme un fruit savoureux où les plus vieilles dents eussent voulu mordre, ses lèvres semblaient