Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/247

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bras d’un jeune homme. C’est le peintre allemand, arrivé, la veille, par le bateau à vapeur et qui attendait son ami à la barrière de Rome, tandis qu’elle le pleurait à petites journées. Pour rien au monde je ne me serais refusé le plaisir de lui rappeler que je lui avais prédit le retour de son amant et tout Français eût fait de même, à cause de notre prétention nationale à deviner, expliquer, comprendre et démontrer. Si un de nos oracles se réalise, fût-ce la prédiction de notre ruine, la satisfaction de l’amour-propre efface à moitié le revers ; mais ce n’était pas le cas ici, puisque je n’étais point amoureux de la jolie lectrice. La demoiselle, au comble de ses vœux, sourit naïvement et nous donne, avec effusion, la poignée de main de l’adieu et le jeune couple s’en va, bras dessus, bras dessous.

— Où veulent descendre vos seigneuries ? demande le conducteur. Chacun avait son hôtel, excepté moi qui ne savais où aller. Je consulte don Giuseppe.

— Si votre seigneurie demeure plus de huit jours à Rome, dit-il, elle peut loger dans une maison meublée, rue de Borgognona, près la place d’Espagne.

Au bout d’une heure, j’étais installé dans une bonne chambre fraîche et bien close ; à travers les persiennes, je remarque, sous mes fenêtres, un petit jardin, une fontaine d’eau vive, un gros figuier dont les feuilles velues sont à portée de main ; quelques plantes grimpantes s’étendent en zigzag sur la muraille. Il me semble que je connais cette maison et, pourtant, je suis certain de ne l’avoir jamais vue, à moins que ce ne soit en rêve. A force de fouiller dans mes souvenirs, je me rappelle que Hoffmann, le charmant conteur allemand, dans son historiette de Salvator Rosa,