Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/271

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qui me plaisait singulièrement. Dans les rues de Rome, une guitare, deux joueurs à la Murra, un costume de la campagne, suffisaient pour m’occuper. La nuit, après le spectacle, je fumais quatre cigares autour de la colonne Antoine. Lorsqu’enfin je me décidai à rentrer à la maison, des milliers de ces jolies mouches luisantes appelées luciole transformaient le figuier du jardin en buisson ardent et j’étudiais leurs évolutions jusqu’à trois heures du matin. Le jour, je parcourais les galeries de tableaux ; mais je sortais, ensuite, pour aller je ne sais où, faire je ne sais quoi, changeant de place sans regret, demeurant immobile avec plaisir et me trouvant parfaitement satisfait partout.

Un jour, sur la place d’Espagne, j’étais assis au bord de la fontaine et je regardais, avec le plus vif intérêt, deux enfants qui jouaient des citrons à la poussette. Un sculpteur français, sortant du palais Médicis, vint me frapper sur l’épaule.

— Vous flânez, me dit-il, vous êtes pris. Dans six mois nous vous aurons encore à Rome.

— Non pas, s’il vous plaît, répondis-je, avant trois jours, je pars.

— Tarare ! Vous ne partirez point.

Une semaine après cette rencontre, j’admirais, à la porte du Peuple, une charrette attelée à deux gros buffles sournois et dociles, dont la physionomie était fort originale. Le même sculpteur vint à passer.

— Croyez-moi, dit-il, ne vous en défendez plus ; vous êtes séduit. Faites vos arrangements et restez avec nous jusqu’au printemps prochain.

Je compris alors mon état et je sentis, en effet, que la matrone enchanteresse me tenait en sa puissance.