Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il écoute pour la dixième fois la même histoire avec autant de plaisir que le premier jour et, probablement, si le déclamateur changeait un passage ou manquait de mémoire, il serait repris ou soufflé par le public. Combien de fois Renaud est-il resté enlacé par les séductions d’Armide ! On sait bien qu’il doit finir par briser ses chaînes ; cependant, lorsque le rinaldo interrompt le discours et déclare qu’il ne délivrera point le chevalier si on ne se cotise pour fournir une somme de quelques grani, on fouille dans sa poche et on en tire ce qu’on peut afin que le charme soit détruit et la terre sainte délivrée des infidèles.

Quand le rinaldo puise son sujet dans l’Aristote, la folie de Roland excite de grandes sympathies. On palpite d’émotion et d’intérêt en voyant l’homme généreux égaré jusqu’à la fureur par une passion. Assurément, le Napolitain qui a fait un mauvais coup songe à Roland et se demande si quelque enchanteur n’a pas mis sa raison dans une fiole. Lorsque le génie du poète s’endort pour un instant, comme autrefois celui d’Homère, l’auditoire, patient, attend avec docilité le moment du réveil et son imagination se repose volontiers pour laisser l’oreille jouir de la cascade des mots mélodieux. Peut-être si on le prenait, encore ému par le récit d’un trait sublime, pour lui demander une belle action ou un sacrifice, le trouverait-on disposé à imiter un des grands personnages du Tasse, car il y a du caractère napolitain dans le Buon Tancredi. La prédilection du lazzarone pour le seizième chant de la Jérusalem Délivrée pourrait faire douter de la bonne foi qu’il met à se prêter aux vues du poète. Le plaisir qu’il goûte à entrer dans les jardins enchantés,