Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/69

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Par un grand effort sur moi-même, je demeurai inébranlable.

— Eh quoi ! s’écria mon homme, votre seigneurie m’abandonne quand elle pourrait me rendre heureux avec si peu de chose ! Hélas ! elle ne sait pas ce que c’est que de souffrir et d’avoir besoin des autres.

Le mouvement oratoire promettait d’être brillant, mais je pensais qu’il y aurait de la cruauté à faire attendre plus longtemps la récompense due au génie. Vers le soir, en passant au quai de la Victoire, j’aperçus mon mendiant étalé sur la dalle comme un serpent qui digère ; il jouissait des derniers rayons du soleil couchant et ne se serait pas dérangé pour un empire.

Dans l’Italie entière, excepté dans le royaume lombardo-vénitien, qui n’abuse pas des taxes, les polices des passeports poussent jusqu’à l’enthousiasme le goût des contributions. Vous croiriez qu’on vous soupçonne d’apporter la peste au lieu d’argent, si vous preniez pour des difficultés sérieuses les pas et démarches qu’on exige. Heureusement, ce n’est pas à vous-même qu’on en veut, c’est seulement à vos piastres. Il faut payer pour entrer dans une ville, pour la traverser, pour y séjourner plus de trois jours, pour des visa, pour une carte de sûreté pour des reçus, des permissions de retirer le passeport d’un bureau et le présenter à un autre bureau où on paye encore. Lorsque vous voulez partir, c’est une cérémonie à recommencer et le facchino que vous chargez de toutes ces commissions exagère ses fatigues afin de mériter une plus grosse récompense. De jeunes artistes, avec leur modeste budget, ont