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plus longtemps qu’il vous sera possible le sentiment et les affections que vous aurez conçues. Un homme qui aurait reçu dans un vaisseau de belle porcelaine, quelque liqueur de grand prix pour l’apporter dans sa maison, il irait doucement, ne regardant point à côté, mais tantôt devant soi, de peur de heurter à quelque pierre ou faire quelque mauvais pas, tantôt à son vase pour voir s’il penche point. Vous en devez faire de même au sortir de la méditation : ne vous distrayez pas tout à coup, mais regardez simplement devant vous ; comme serait à dire, s’il vous faut rencontrer quelqu’un que vous soyez obligée d’entretenir ou ouïr, il n’y a remède, il faut s’accommoder à cela, mais en telle sorte que vous regardiez aussi à votre cœur, afin que la liqueur de la sainte oraison ne s’épanche que le moins qu’il sera possible.

Il faut même que vous vous accoutumiez à savoir passer de l’oraison à toutes sortes d’actions que votre vacation et profession requiert justement et légitimement de vous, quoiqu’elles semblent bien éloignées des affections que nous avons reçues en l’oraison. Je veux dire, un avocat doit savoir passer de l’oraison à la plaidoirie ; le marchand, au trafic ; la femme mariée, au devoir de son mariage et au tracas de son ménage, avec tant de douceur et de tranquillité que pour cela son esprit n’en soit point troublé ; car, puisque l’un et l’autre est selon la volonté de Dieu, il faut faire le passage de l’un à l’autre en esprit d’humilité et dévotion.

Il vous arrivera quelquefois qu’incontinent après la préparation, votre affection se trouvera toute émue en Dieu : alors, Philothée, il lui faut lâcher la bride, sans vouloir suivre la méthode que je vous ai donnée ; car