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saison. « La musique », tant agréable de soi-même, « est importune en un deuil », dit le Proverbe. C’est un grand défaut en plusieurs qui, entreprenant l’exercice de quelque vertu particulière, s’opiniâtrent d’en produire des actions en toutes sortes de rencontres, et veulent, comme ces anciens philosophes, ou toujours pleurer ou toujours rire ; et font encore pis quand ils blâment et censurent ceux qui, comme eux, n’exercent pas toujours ces mêmes vertus. « Il se faut réjouir avec les joyeux et pleurer avec les pleurants », dit l’Apôtre ; et « la charité est patiente, bénigne », libérale, prudente, condescendante.

Il y a néanmoins des vertus lesquelles ont leur usage presque universel, et qui ne doivent pas seulement faire leurs actions à part, ains doivent encore répandre leurs qualités ès actions de toutes les autres vertus. Il ne se présente pas souvent des occasions de pratiquer la force, la magnanimité, la magnificence ; mais la douceur, la tempérance, l’honnêteté et l’humilité sont des certaines vertus, desquelles toutes les actions de notre vie doivent être teintes. Il y a des vertus plus excellentes qu’elles ; l’usage néanmoins de celles-ci est plus requis. Le sucre est plus excellent que le sel ; mais le sel a un usage plus fréquent et plus général. C’est pourquoi il faut toujours avoir bonne et prompte provision de ces vertus générales, puisqu’il s’en faut servir presque ordinairement.

Entre les exercices des vertus, nous devons préférer celui qui est plus conforme à notre devoir, et non pas celui qui est plus conforme à notre goût. C’était le goût de sainte Paule d’exercer l’âpreté des mortifications corporelles pour jouir plus aisément des douceurs spirituel-