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Il ne faut pas pourtant que nous soyons trop ardents, exacts et pointilleux à cette conservation, car ceux qui sont si douillets et sensibles pour leur réputation ressemblent à ceux qui pour toutes sortes de petites incommodités prennent des médecines : car ceux-ci, pensant conserver leur santé la gâtent tout à fait, et ceux-là, voulant maintenir si délicatement leur réputation, la gâtent entièrement ; car par cette tendreté ils se rendent bizarres, mutins, insupportables, et provoquent la malice des médisants.

La dissimulation et mépris de l’injure et calomnie est pour l’ordinaire un remède beaucoup plus salutaire que le ressentiment, la conteste et la vengeance : le mépris les fait évanouir ; si on s’en courrouce, il semble qu’on les avoue. Les crocodiles n’endommagent que ceux qui les craignent, ni certes la médisance, sinon ceux qui s’en mettent en peine.

La crainte excessive de perdre la renommée témoigne une grande défiance du fondement d’icelle, qui est la vérité d’une bonne vie. Les villes qui ont des ponts de bois sur des grands fleuves craignent qu’ils ne soient emportés à toutes sortes de débordements ; mais celles qui les ont de pierre n’en sont en peine que pour des inondations extraordinaires : ainsi ceux qui ont une âme solidement chrétienne méprisent ordinairement les débordements des langues injurieuses ; mais ceux qui se sentent faibles s’inquiètent à tout propos. Certes, Philothée, qui veut avoir réputation envers tous, la perd envers tous ; et celui mérite de perdre l’honneur, qui le veut prendre de ceux que les vices rendent vraiment infâmes et déshonorés.