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Mais je ne parle que des imperfections ; car quant aux péchés il ne faut ni les porter ni les supporter en l’ami. C’est une amitié ou faible ou méchante de voir périr l’ami et ne le point secourir, de le voir mourir d’un apostème et n’oser lui donner le coup du rasoir de la correction pour le sauver. La vraie et vivante amitié ne peut durer entre les péchés. On dit que la salamandre éteint le feu dans lequel elle se couche ; et le péché ruine l’amitié en laquelle il se loge : si c’est un péché passager, l’amitié lui donne soudain la fuite par la correction ; mais s’il séjourne et arrête, tout aussitôt l’amitié périt, car elle ne peut subsister que sur la vraie vertu ; combien moins donc doit-on pécher pour l’amitié ? L’ami est ennemi quand il nous veut conduire au péché, et mérite de perdre l’amitié quand il veut perdre et damner l’ami ; ains c’est l’une des plus assurées marques d’une fausse amitié que de la voir pratiquée envers une personne vicieuse, de quelle sorte de péché que ce soit. Si celui que nous aimons est vicieux, sans doute notre amitié est vicieuse ; car puisqu’elle ne peut regarder la vraie vertu, il est force qu’elle considère quelque vertu folâtre et quelque qualité sensuelle.

La société faite pour le profit temporel entre les marchands n’a que l’image de la vraie amitié ; car elle se fait non pour l’amour des personnes mais pour l’amour du gain.

Enfin, ces deux divines paroles sont deux grandes colonnes pour bien assurer la vie chrétienne. L’une est du Sage : « Qui craint Dieu aura pareillement une bonne amitié » ; l’autre est de saint Jacques : « L’amitié de ce monde est ennemie de Dieu ».