Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/140

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Ha ! Dit-elle, cruel, si vous me voulez plaire,
Au moins en m’ostant tout, laissez moy ma colere :
Et par de vains propos aussi trompeurs que doux,
Ne m’ostez pas le bien de me vanger de vous.
A ces mots elle entend, cette beauté divine,
Crier aux matelots, à bord ; à la marine ;
Le bon vent est levé, qu’on s’embarque soldats ;
A bord ; embarque ; à bord ; et ne le perdons pas.
Aussi-tost elle entend mille voix inconnuës,
Qui luy perçant le cœur, percent jusques aux nuës :
Mille cris d’allegresse augmentent sa douleur,
Et le port retentit du bruit de son malheur.
Elle entend les nochers, aussi triste que pasle,
Crier, amare ; hysse ; et pouge ; et guinde ; et cale ;
Rame ; attache ; apareille ; et divers autres mots,
Qui ne sont entendus qu’à l’empire des flots.
Elle entend dans le camp tous les tambours qui battent :
La trompette guerriere, et les clairons esclattent :
Tout marche ; tout s’embarque ; et par un si grand bruit,
Son cœur du prompt départ n’est que trop bien instruit.
D’un œil triste et mourant Alaric s’en separe ;
D’un œil superbe et fier elle le dit barbare ;
Il part, elle se tourne, et sortant de ce lieu,
Ce prince luy veut dire, et ne peut dire, adieu.
Comme on voit dans un camp la mine sousterraine,
Cacher pour un instant le feu dont elle est plaine ;
Et puis bien-tost apres ce terrible element,
Boule-verser la terre, et bruire horriblement :