Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/168

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Mille et mille jects d’eau font ces roches humides,
D’un cristal bondissant, et de perles liquides :
Et d’un bruit aussi grand qu’il est delicieux,
Ils charment à la fois, et l’oreille et les yeux.
Au sortir d’une grotte aussi belle que rare,
Sous un bois d’orangers ce grand heros s’esgare :
Où cent petits ruisseaux, dans un sejour si frais,
Cachent leurs petits flots sous un gazon espais.
Or comme il voit cette eau, qui se haste et se presse,
Il voit, ou pour mieux dire, il croit voir sa maistresse :
Qui dort au bord de l’onde, et ce fidele amant,
S’arreste fort surpris d’un objet si charmant.
Sa main gauche soustient sa teste un peu panchée :
Sa main droite est sur l’herbe, où la belle est couchée :
Et son voile tombé sur ce grand tapis vert,
Fait qu’on voit respirer son beau sein descouvert.
Elle monstre d’un bras la neige esbloüissante :
Il pose mollement sur cette herbe naissante :
Et ses cheveux espars volent au gré du vent,
Qui semble s’y joüer tant il les meut souvent.
Alaric est charmé par de si belles choses :
Il voit en son pouvoir, et des lis et des roses :
Cependant loin de prendre aucune liberté,
Il se voit retenu par sa noble fierté.
Tous endormis qu’ils sont, ses yeux sont redoutables :
Il sçait bien qu’ils sont fiers autant qu’ils sont aymables :
L’amour et le respect esgalement puissans,
Font long-temps disputer sa raison et ses sens :