Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/177

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Tous les chefs estonnez viennent dans leur esquif ;
Ils font retentir l’air d’un son triste et pleintif ;
Ils paroissent frappez d’un grand coup de tonnerre ;
Et tous sur l’amiral tiennent conseil de guerre :
Car ces braves guerriers, quoy que pleins de valeur,
Ne sçavent que resoudre en un si grand malheur.
Comme lors que l’on voit l’astre de la lumiere,
Perdre le vif esclat de sa splendeur premiere,
L’on voit toute la terre en perdant sa clarté,
Predire son malheur par cette obscurité.
Ainsi l’astre des roys esclipsé de leur veuë,
Fait que toute la flote en sa perte impreveuë,
Croit voir escrite au ciel comme un arrest fatal,
Une suite de maux qui vient d’un si grand mal.
Ces chefs espouventez s’informent de la chose,
Mais sur cét accident tous ont la bouche close ;
Tous n’en sçavent que dire ; et tous levant les yeux,
Desesperez qu’ils sont, poussent des cris aux cieux.
A ces cris esclatans tous les vaisseaux respondent ;
Et leurs voix à ces voix tristement se confondent ;
L’air retentit par tout du bruit de cette mort,
Et le nom d’Alaric vole de bord en bord.
Alaric, Alaric, dit le triste esquipage ;
Alaric, Alaric, replique le rivage,
Et l’on entend alors, tant ce nom leur est cher,
Alaric, Alaric, de rocher en rocher.
Mais lors que de ce mal l’extrême violence,
A tant de tristes voix eut imposé silence,