Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/235

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Et comme je n’avois, ny scavoir, ny vertu,
Je fus tousjours chassé, je fus tousjours battu.
Enfin tant de malheurs réveillerent mon ame :
Ils m’ouvrirent les yeux pour me sauver de blasme :
Et je pris un conseil dont il estoit saison,
Au bord du precipice où je vy la raison.
Un Grec que j’avois pris dans les isles Hebrides,
Voyant mon embarras, et mes pensers timides,
Me dit qu’il sauveroit, et ma gloire, et l’estat ;
Qu’il en redoubleroit, et la force, et l’éclat ;
Et qu’il entasseroit victoire sur victoire,
Et bonheur sur bonheur, si je le voulois croire.
Que vous diray-je enfin ? Je le creus ; il le fit :
Ceux qui m’avoient deffait, sa valeur les deffit :
Ils nous faisoient fuïr, nous les mismes en fuite :
Tout ceda, tout fit jour à sa sage conduite :
Et d’un conseil discret me decillant les yeux,
De vaincu que j’estois, je fus victorieux.
Ainsi laissant agir sa prudence vaillante,
Nous fismes avec gloire une paix triomphante :
Et nous fusmes porter aux pieds d’un jeune roy,
Tout ce que la victoire avoit conquis par moy.
Apres continuant d’escouter sa sagesse,
La valeur fut payée, et mesme avec largesse :
Et les lasches chassez d’entre les vrais soldats,
Avec un deshonneur pire que le trespas.
En suite employant mieux la royale puissance,
Je fus le protecteur de la foible innocence :