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DE L’ALLEMAGNE

vingt fois dans le même repas ; il faut offrir de tous les mets, de tous les vins avec un soin, avec une instance qui fatigue mortellement les étrangers. Il y a de la bonhomie au fond de tous ces usages ; mais ils ne subsisteroient pas un instant dans un pays où l’on pourroit hasarder la plaisanterie sans offenser la susceptibilité : et comment néanmoins peut il y avoir de la grâce et du charme en société, si l’on n’y permet pas cette douce moquerie qui délasse l’esprit et donne à la bienveillance elle-même une façon piquante de s’exprimer ?


Le cours des idées depuis un siècle a été tout-à-fait dirigé par la conversation. On pensoit pour parler, on parloit pour être applaudi, et tout ce qui ne pouvoit pas se dire sembloit être de trop dans l’âme. C’est une disposition très-agréable que le désir de plaire ; mais elle diffère pourtant beaucoup du besoin d’être aimé : le désir de plaire rend dépendant de l’opinion, le besoin d’être aimé en affranchit : on pourroit désirer de plaire à ceux même à qui l’on feroit beaucoup de mal, et c’est précisément ce qu’on appelle de la coquetterie ; cette coquetterie n’appartient pas exclusivement aux femmes ? il y en a dans toutes les manières qui servent à témoigner plus d’affection qu’on n’en