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DE L’ESPRIT DE CONVERSATION

Quel mal cet esprit d’imitation ne feroit-il pas parmi les Allemands ! Leur supériorité consiste dans l’indépendance de l’esprit, dans l’amour de la retraite, dans l’originalité individuelle. Les Français ne sont tout-puissants qu’en masse, et leurs hommes de génie eux-mêmes prennent toujours leur point d’appui dans les opinions reçues quand ils veulent s’élancer au-delà. Enfin l’impatience du caractère français, si piquante en conversation, ôteroit aux Allemands le charme principal de leur imagination naturelle, cette rêverie calme, cette vue profonde qui s’aide du temps et de la persévérance pour tout découvrir.

Ces qualités sont presque incompatibles avec la vivacité d’esprit ; et cette vivacité est cependant surtout ce qui rend aimable en conversation. Lorsqu’une discussion s’appesantit, lorsqu’un conte s’alonge, il vous prend je ne sais quelle impatience semblable à celle qu’on éprouve quand un musicien ralentit trop la mesure d’un air. On peut être fatigant néanmoins à force de vivacité, comme on l’est par trop de lenteur. J’ai connu un homme de beaucoup d’esprit, mais tellement impatient, qu’il donnoit à tous ceux qui causoient avec lui l’inquiétude que doivent éprouver les gens prolixes quand ils s’aperçoivent qu’ils fatiguent.