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LA SAXE

fort respectable ; mais, dans l’échelle des pensées, la dignité de l’espèce humaine importe plus que son bonheur, et surtout que son accroissement : multiplier les naissances sans ennoblir la destinée, c’est préparer seulement une fête plus somptueuse à la mort.

Les villes littéraires de Saxe sont celles où l’on voit régner le plus de bienveillance et de simplicité. On a considéré partout ailleurs les lettres comme un apanage du luxe ; en Allemagne elles semblent l’exclure. Les goûts qu’elles inspirent donnent une sorte de candeur et de timidité qui fait aimer la vie domestique : ce n’est pas que la vanité d’auteur n’ait un caractère très-prononcé chez les Allemands, mais elle ne s’attache point aux succès de société. Le plus petit écrivain eu veut à la postérité ; et, se déployant à son aise dans l’espace des méditations sans bornes, il est moins froissé par les hommes, et s’aigrit moins contre eux. Toutefois les hommes de lettres et les hommes d’affaires sont trop séparés en Saxe, pour qu’il s’y manifeste un véritable esprit public. Il résulte de cette séparation que les uns ont une trop grande ignorance des choses pour exercer aucun ascendant sur le pays, et que les autres se