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LA FÊTE D’INTERLAKEN

mées d’arbres, et des montagnes à perte de vue sont derrière ces collines. Tous les spectateurs, au nombre de près de six mille, s’assirent sur les hauteurs en pente, et les couleurs variées des habillements ressembloient dans l’éloignement à des fleurs répandues sur la prairie. Jamais un aspect plus riant ne put annoncer une fête ; mais quand les regards s’élevoient, des rochers suspendus sembloient, comme la destinée, menacer les humains au milieu de leurs plaisirs. Cependant s’il est une joie de l’âme assez pure pour ne pas provoquer le sort, c’étoit celle-là.

Lorsque la foule des spectateurs fut réunie, on entendit venir de loin la procession de la fête, procession solennelle en effet, puisqu’elle étoit consacrée au culte du passé. Une musique agréable l’accompagnoit ; les magistrats paroissoient à la tête des paysans, les jeunes paysannes étoient vêtues selon le costume ancien et pittoresque de chaque canton ; les hallebardes et les bannières de chaque vallée étoient portées en avant de la marche par des hommes à cheveux blancs, habillés précisément comme on l’étoit il y a cinq siècles, lors de la conjuration de Rutli. Une émotion profonde s’emparoit de l’âme en voyant ces drapeaux si pacifiques qui avoient pour gardiens