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DE LA POÉSIE

semble dans un même foyer des sentiments divers, l’enthousiasme est l’encens de la terre vers le ciel, il les réunit l’un à l’autre. Le don de révéler par la parole ce qu’on ressent au fond du cœur est très-rare ; il y a pourtant de la poésie dans tous les êtres capables d’affections vives et profondes ; l expression manque à ceux qui ne sont pas exercés à la trouver. Le poëte ne fait pour ainsi dire que dégager le sentiment prisonnier au fond de l’âme ; le génie poétique est une disposition intérieure de la même nature que celle qui rend capable d’un généreux sacrifice : c’est rêver l’héroïsme que composer une belle ode. Si le talent n’étoit pas mobile, il inspireroit aussi souvent les belles actions que les touchantes paroles ; car elles partent toutes également de la conscience du beau, qui se fait sentir en nous-mêmes.

Un homme d’un esprit supérieur disoit que la prose étoit factice, et la poésie naturelle : en effet, les nations peu civilisées commencent toujours par la poésie, et dès qu’une passion forte agite l’âme, les hommes les plus vulgaires se servent, à leur insçu, d’images et de métaphores ; ils appellent à leur secours la nature extérieure pour exprimer ce qui se passe en eux d’inexprimable.