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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

aux limites des lieux ; elle plane sur les pays et sur les siècles ; elle donne de la durée à ce moment sublime pendant lequel l’homme s’élève au-dessus des peines et des plaisirs de la vie. Il se sent au milieu des merveilles du monde comme un être à la fois créateur et créé, qui doit mourir et qui ne peut cesser d’être, et dont le cœur tremblant et fort en même temps s’enorgueillit en lui-même et se prosterne devant Dieu.

Les Allemands réunissant-stout à la fois, ce qui est très-rare, l’imagination et le recueillement contemplatif, sont plus capables que la plupart des autres nations de la poésie lyrique. Les modernes ne peuvent se passer d’une certaine profondeur d’idées dont une religion spiritualiste leur a donné l’habitude et si cependant cette profondeur n’étoit point revêtue d’images, ce ne seroit pas de la poésie : il faut donc que la nature grandisse aux yeux de l’homme pour qu’il puisse s’en servir comme de l’emblème de ses pensées. Les bosquets, les fleurs et les ruisseaux suffisoient aux poëtes du paganisme ; la solitude des forêts, l’Océan sans bornes, le ciel étoilé peuvent à peine exprimer l’éternel et l’infini dont l’âme des chrétiens est remplie.

Les Allemands n’ont pas plus que nous de