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DE LA POÉSIE

tachés de ces galeries de tableaux ; mais les transitions qui les lient entre eux sont nécessairement prosaïques comme ce qui se passe dans la tête de l’écrivain. Il s’est dit : — Je ferai des vers sur ce sujet, puis sur celui-ci, puis sur celui-là. — Et sans s’en apercevoir il nous met dans la confidence de sa manière de travailler. Le véritable poëte conçoit pour ainsi dire tout son poème à la fois au fond de son âme sans les difficultés du langage, il improviseroit, comme la sibylle et les prophètes, les hymnes saints du génie. Il est ébranlé par ses conceptions comme par un événement de sa vie. Un monde nouveau s’offre à lui ; l’image sublime de chaque situation, de chaque caractère, de chaque beauté de la nature frappe ses regards, et son cœur bat pour un bonheur céleste qui traverse comme un éclair l’obscurité du sort. La poésie est une possession momentanée de tout ce que notre âme souhaite ; le talent fait disparoître les bornes de l’existence et change en images brillantes le vague espoir des mortels.

Il seroit plus aisé de décrire les symptômes du talent que de lui donner des préceptes ; le génie se sent comme l’amour par la profondeur même de l’émotion dont il pénètre celui qui en est