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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

affoibli par l’autre. Un poëte généreux a dit, en parlant de Louis XVI :

Jamais tant de respect n’admit tant de pitié[1].


Ce vers si touchant et si délicat pourroit exprimer l’attendrissement que le Messie fait éprouver dans Klopstock. Sans doute le sujet est bien au-dessus de toutes les inventions du génie ; il en faut beaucoup cependant pour montrer avec tant de sensibilité l’humanité dans l’être divin, et avec tant de force la divinité dans l’être mortel. Il faut aussi bien du talent pour exciter l’intérêt et l’anxiété dans le récit d’un événement décidé d’avance par une volonté toute puissante. Klopstock a su réunir avec beaucoup d’art tout ce que la fatalité des anciens et la providence des chrétiens peuvent inspirer à la fois de terreur et d’espérance.

J’ai parlé ailleurs du caractère d’Abbadona, de ce démon repentant qui cherche à faire du bien aux hommes : un remords dévorant s’attache à sa nature immortelle ; ses regrets ont le ciel même pour objet, le ciel qu’il a connu, les célestes

  1. M. de Sabran.