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DE LA POÈSIE ALLEMANDE

leurs frères, les époux leurs épouses ; les trompettes guerrières accompagnent les chants de la paix, et la joie règne dans tous les cœurs. Lenore parcourt en vain les rangs des guerriers, elle n’y voit point son amant ; nul ne peut lui dire ce qu’il est devenu. Elle se désespère : sa mère voudroit la calmer ; mais le jeune cœur de Lenore se révolte contre la douleur, et, dans son égarement, elle renie la Providence. Au moment où le blasphème est prononcé, l’on sent dans l’histoire quelque chose de funeste, et dès cet instant l’âme est constamment ébranlée.

À minuit, un chevalier s’arrête à la porte de Lenore ; elle entend le hennissement du cheval et le cliquetis des éperons : le chevalier frappe, elle descend et reconnoît son amant. Il lui demande de le suivre à l’instant, car il n’a pas un moment à perdre, dit-il, avant de retourner à l’armée. Elle s’élance, il la place derrière lui sur son cheval, et part avec la promptitude de l’éclair. Il traverse au galop, pendant la nuit, des pays arides et déserts ; la jeune fille est pénétrée de terreur, et lui demande sans cesse raison de la rapidité de sa course ; le chevalier presse encore plus les pas de son cheval par ses cris sombres et sourds, et prononce à voix basse ces mots : Les morts vont