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DE L’ALLEMAGNE

de la raison. Le bon goût et la raison sont des paroles qu’il est toujours agréable de prononcer, même au hasard ; mais peut-on de bonne foi se persuader que des écrivains d’une érudition immense, et qui connoissent tous les livres français aussi bien que nous-mêmes, s’occupent depuis vingt années de pures absurdités ?

Les siècles superstitieux accusent facilement les opinions nouvelles d’impiété, et les siècles incrédules les accusent non moins facilement de folie. Dans le seizième siècle, Galilée a été livré à l’inquisition pour avoir dit que la terre tournoit ; et dans le dix-huitième, quelques-uns ont voulu faire passer J. J. Rousseau pour un dévot fanatique. Les opinions qui diffèrent de l’esprit dominant, quel qu’il soit, scandalisent toujours le vulgaire : l’étude et l’examen peuvent seuls donner cette libéralité de jugement, sans laquelle il est impossible d’acquérir des lumières nouvelles ou de conserver même celles qu’on a. Car on se soumet à de certaines idées reçues, non comme à des vérités, mais comme au pouvoir ; et c’est ainsi que la raison humaine s’habitue à la servitude dans le champ même de la littérature et de la philosophie.