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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

— Vive l’enfant ! — Le fils s’élance dans les bras de son père, et lui dit : — Mon père, voici la pomme que ta flèche a percée ; je savois bien que tu ne me blesserois pas. — Le père anéanti tombe à terre tenant son enfant dans ses bras. Les compagnons de Tell le relèvent et le félicitent. Gessler s’approche et lui demande dans quel dessein il avoit préparé une seconde flèche. Tell refuse de le dire. Gessler insiste. Tell demande une sauvegarde pour sa vie s’il répond avec vérité ; Gessler l’accorde. Tell alors, le regardant avec des yeux vengeurs, lui dit : — Je voulois lancer contre vous cette flèche, si la première avoit frappé mon fils ; et croyez-moi, celle-là ne vous auroit pas manqué. — Gessler, furieux à ces mots, ordonne que Tell soit conduit en prison.

Cette scène a, comme on peut le voir, toute la simplicité d’une histoire racontée dans une ancienne chronique. Tell n’est point représenté comme un héros de tragédie ; il n’avoit point voulu braver Gessler : il ressemble en tout à ce que sont d’ordinaire les paysans de l’Hélvétie, calmes dans leurs habitudes, amis du repos, mais terribles quand on agite dans leur âme les sentiments que la vie champêtre y tient assoupis.