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GOETZ DE BERLICHINGEN

grand tableau, mais un dessein à peine achevé. On sent dans l’écrivain une telle impatience de tout ce qui pourroit ressembler à l’affectation, qu’il dédaigne même l’art nécessaire pour donner une forme durable à ce qu’il compose. Il y a des traits de génie çà et là dans son drame, comme des coups de pinceaux de Michel-Ange ; mais c’est un ouvrage qui laisse, ou plutôt qui fait désirer beaucoup de choses. Le règne de Maximilien, pendant lequel l’événement principal se passe, n’y est pas assez caractérisé. Enfin on oseroit reprocher à Goethe de n’avoir pas mis assez d’imagination dans la forme et le langage de cette pièce. C’est volontairement et par système qu’il s’y est refusé ; il a voulu que ce drame fût la chose même, et il faut que le charme de l’idéal préside à tout dans les ouvrages dramatiques. Les personnages des tragédies sont toujours en danger d’être vulgaires ou factices, et le génie doit les préserver également de l’un et de l’autre inconvénient. Shakespear ne cesse pas d’être poëte dans ses pièces historiques, ni Racine d’observer exactement les mœurs des Hébreux dans sa tragédie lyrique d’Athalie. Le talent dramatique ne sauroit se passer ni de la nature, ni de l’art ; l’art ne tient en rien à l’ar-