Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 2, 1814.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
COMTE D’EGMONT

voit l’une et l’autre simultanément dans un tableau, on reçoit tout à la fois l’effet de toutes deux ; il n’en est pas ainsi dans une pièce de théâtre, où l’action est successive, la scène qui blesse n’est pas tolérée en considération du reflet avantageux qu’elle doit jeter sur la scène suivante ; et l’on exige que l’opposition consiste dans des beautés différentes, mais qui soient toujours des beautés.

La fin de la tragédie de Goethe n’est point en harmonie avec l’ensemble ; le comte d’Egmont s’endort quelques instants avant de marcher à l’échafaud, Clara qui n’est plus lui apparoît pendant son sommeil environnée d’un éclat céleste, et lui annonce que la cause de la liberté qu’il a servie doit triompher un jour : ce dénouement merveilleux ne peut convenir à une pièce historique. Les Allemands en général sont embarrassés lorsqu’il s’agit de finir ; et c’est surtout à eux que pourroit s’appliquer ce proverbe des Chinois : Quand on a dix pas à faire, neuf est la moitié du chemin. L’esprit nécessaire pour terminer quoi que ce soit exige une sorte d’habileté et de mesure qui ne s’accorde guère avec l’imagination vague et indéfinie que les Allemands manifestent dans tous leurs ouvrages.