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TORQUATO TASSO

un sujet aussi moderne, sous tous les rapports, que le caractère personnel du Tasse et les intrigues de la cour de Ferrare.

Goethe a voulu peindre dans cette pièce l’opposition qui existe entre la poésie et les convenances sociales, entre le caractère d’un poëte et celui d’un homme du monde. Il a montré le mal que fait la protection d’un prince à l’imagination délicate d’un écrivain, lors même que ce prince croit aimer les lettres, ou du moins met son orgueil à passer pour les aimer. Cette opposition entre la nature exaltée et cultivée par la poésie, et la nature refroidie et dirigée par la politique, est une idée mère de mille idées.

Un homme de lettres placé dans une cour doit se croire d’abord heureux d’y être ; mais il est impossible qu’à la longue il n’éprouve pas quelques-unes des peines qui rendirent la vie du Tasse si malheureuse. Le talent qui ne seroit pas indompté cesseroit d’être du talent ; et cependant il est bien rare que des princes reconnoissent les droits de l’imagination et sachent tout à la l’ois la considérer et la ménager. On ne pouvoit choisir un sujet plus heureux que Le Tasse à Ferrare, pour mettre en évidence les différents caractères d’un poëte, d’un homme de cour, d’une prin-