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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

telle incapacité ; ils ont vécu plus souvent hors de la maison, sur les places publiques ; les choses et surtout les hommes leur sont plus familiers.

Le langage du Tasse, dans la pièce de Goethe, est souvent trop métaphysique. La folie de l’auteur de la Jérusalem ne venoit pas de l’abus des réflexions philosophiques, ni de l’examen approfondi de ce qui se passe au fond du cœur ; elle tenoit plutôt à l’impression trop vive des objets extérieurs, à l’enivrement de l’orgueil et de l’amour ; il ne se servoit guère de la parole que comme d’un chant harmonieux. Le secret de son âme n’étoit point dans ses discours, ni dans ses écrits : il ne s’étoit point observé lui-même ; comment auroit-il pu se révéler aux autres ? D’ailleurs il considéroit la poésie comme un art éclatant, et non comme une confidence intime des sentiments du cœur. Il me semble manifeste et par sa nature italienne, et par sa vie, et par ses lettres, et par les poésies même qu’il a composées dans sa captivité, que l’impétuosité de ses passions, plutôt que la profondeur de ses pensées, causoit sa mélancolie ; il n’y avoit pas dans son caractère, comme dans celui des poètes allemands, ce mélange habituel de