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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

noncer des noms propres, ni supposer des scènes, des actes, un commencement, une fin, tout ce qui rend l’action nécessaire. La contemplation plaît dans le repos ; mais lorsqu’on marche, la lenteur est toujours fatigante.

Par une singulière vicissitude dans les goûts, les Allemands ont d’abord attaqué nos écrivains dramatiques, comme transformant en Français tous leurs héros. Ils ont réclamé avec raison la vérité historique pour animer les couleurs et vivifier la poésie ; puis tout à coup ils se sont lassés de leurs propres succès en ce genre, et ils ont fait des pièces abstraites, si l’on peut s’exprimer ainsi, dans lesquelles les rapports des hommes entre eux sont indiqués d’une manière générale, sans que le temps, le lieu, ni les individus y soient pour rien. C’est ainsi, par exemple, que dans la Fille naturelle, une autre pièce de Goethe, l’auteur appelle ses personnages le duc, le roi, le père, la fille, etc., sans aucune autre désignation ; considérant l’époque pendant laquelle l’événement se passe, le pays et les noms propres presque comme des intérêts de ménage, dont la poésie ne doit pas s’occuper.

Une telle tragédie est véritablement faite pour être jouée dans le palais d’Odin, ou les morts