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DE LA LITTÉRARURE ET LES ARTS

que l’amitié rend tour à tour plus vive et plus foible, comment les faire comprendre, si ce n’est par cet accent qui va de l’âme à l’âme sans l’intermédiaire même des paroles ! Manlius tire son poignard pour en frapper Servilius, sa main cherche son cœur et tremble de le trouver : le souvenir de tant d’années pendant lesquelles Servilius lui fut cher élève comme un nuage de pleurs entre sa vengeance et son ami.

On a moins parlé du cinquième acte, et peut-être Talma y est-il plus admirable encore que dans le quatrième. Servilius a tout bravé pour expier sa faute et sauver Manlius. Dans le fond de son cœur il a résolu, si son ami périt, de partager son sort. La douleur de Manlius est adoucie par les regrets de Servilius ; néanmoins il n’ose lui dire qu’il lui pardonne sa trahison effroyable ; mais il prend à la dérobée la main de Servilius et rapproche de son cœur ; ses mouvements involontaires cherchent l’ami coupable qu’il veut embrasser encore avant de le quitter pour jamais. Rien ou presque rien dans la pièce n’indiquoit cette admirable beauté de l’âme sensible, respectant une longue affection malgré la trahison qui l’a brisée. Les rôles de Pierre et de Jaffier dans la pièce anglaise indiquent cette si-