Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 2, 1814.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
DE LA LITTÉRARURE ET LES ARTS

pas naturel d’intéresser le cœur pour y graver de grandes pensées ?

Les romans par lettres supposent toujours plus de sentiments que de faits ; jamais les anciens n’auroient imaginé de donner cette forme à leurs fictions ; et ce n’est même que depuis deux siècles que la philosophie s’est assez introduite en nous-mêmes pour que l’analyse de ce qu’on éprouve tienne une si grande place dans les livres. Cette manière de concevoir les romans n’est pas aussi poétique, sans doute, que celle qui consiste toute entière dans les récits ; mais l’esprit humain est maintenant bien moins avide des événements même les mieux combinés, que des observations sur ce qui se passe dans le cœur. Cette disposition tient aux grands changements intellectuels qui ont eu lieu dans l’homme ; il tend toujours plus en général à se replier sur lui-même, et cherche la religion, l’amour et la pensée dans le plus intime de son être.

Plusieurs écrivains allemands ont composé des contes de revenants et de sorcières, et pensent qu’il y a plus de talent dans ces inventions que dans un roman fondé sur une circonstance de la vie commune : tout est bien si l’on est porté par des dispositions naturelles ; mais en général il