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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇOISE

il avoit beau haïr et calomnier, il ne parvenoit pas à faire tourner sur lui l’opinion publique. Un seul des concurrens passoit pour très-distingué par son esprit ; c’étoit M. de Calonne ; on lui croyoit des talens supérieurs, parce qu’il traitoit légèrement les choses les plus sérieuses, y compris la vertu. C’est une grande erreur que l’on commet en France, de se persuader que les hommes immoraux ont des ressources merveilleuses dans l’esprit. Les fautes causées par la passion dénotent assez souvent des facultés distinguées ; mais la corruption et l’intrigue tiennent à un genre de médiocrité qui ne permet d’être utile à rien qu’à soi-même. On seroit plus près de la vérité, en considérant comme incapable des affaires publiques, un homme qui a consacré sa vie au ménagement artificieux des circonstances et des personnes. Tel étoit M. de Calonne, et dans ce genre encore la frivolité de son caractère le poursuivoit, et il ne faisoit pas habilement le mal, même lorsqu’il en avoit l’intention.

Sa réputation, fondée par les femmes, avec lesquelles il passoit sa vie, l’appeloit au ministère. Le roi résista long-temps à ce choix, parce que son instinct consciencieux le repoussoit. La reine partageoit la répugnance du roi,